LE BERGER
ET LA MER (*)
Du rapport d'un troupeau dont il vivait sans soins,
Se contenta longtemps un voisin d'Amphitrite (1):
Si sa fortune était
petite,
Elle était sûre
tout au moins.
A la fin, les trésors déchargés sur la plage
Le tentèrent si bien qu'il vendit son troupeau,
Trafiqua (2) de l'argent, le mit entier(3) sur l'eau.
Cet argent périt
par naufrage.
Son maître fut réduit à garder les brebis,
Non plus berger en chef comme il était jadis,
Quand ses propres moutons paissaient sur le rivage:
Celui qui s'était vu Coridon ou Tircis (4)
Fut Pierrot
(4) et rien davantage.
Au bout de quelque temps, il fit quelques profits,
Racheta des bêtes à laine
;
Et comme un jour les vents retenant leur haleine
Laissaient paisiblement aborder les vaisseaux :
Vous voulez de l'argent, ô Mesdames les Eaux,
Dit-il, adressez-vous, je vous prie, à quelque autre:
Ma foi, vous n'aurez
pas le nôtre.
Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé.
Je me sers de la
vérité
Pour montrer par
expérience,
Qu'un sou
quand il est assuré
Vaut mieux que cinq en
espérance (5) ;
Qu'il se faut contenter de sa condition ;
Qu'aux conseils de la mer et de l'ambition
Nous devons
fermer les oreilles.
Pour un qui s'en louera, dix mille s'en plaindront.
La mer promet
monts et merveilles :
Fiez-vous y, les vents et les voleurs viendront.
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Sagesse et prudence dans la gestion de
nos biens,
c'est le conseil de La Fontaine ...
(*) Source : Esope
(1) un habitant du bord de mer. Amphitrite est la
déesse grecque de la mer, épouse de Poséidon
(2) fit du commerce maritime avec l'argent de la vente
(3) le plaça entièrement
(4) noms de bergers dans "Les Bucoliques" de Virgile
Ils sont propriétaires de leurs troupeaux, alors que le
nom de Pierrot est réservé au paysan
(5) allusion à la propagande faite pour la Compagnie des Indes qui fut liquidée en 1672
" Un tiens, vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras"
Illustration de
François Chauveaucliquer pour agrandir
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