LE  CHARLATAN 
Le  monde n'a jamais manqué de Charlatans : (1) 
            Cette science, de tout temps, 
            Fut en Professeurs très fertile. 
Tantôt  l'un en théâtre affronte l'Achéron, (2) 
            Et l'autre affiche par la ville 
            Qu'il est un passe-Cicéron. (3) 
            Un des derniers se vantait d'être 
            En éloquence si grand maître, 
            Qu'il rendrait disert un Badaud, 
            Un Manant, un Rustre, un Lourdaud ; 
Oui,  Messieurs, un Lourdaud, un Animal, un Âne : 
Que  l'on amène un Âne, un Âne renforcé, 
            Je le rendrai maître passé, 
            Et veux qu'il porte la soutane.  
Le  Prince sut la chose, il manda le Rhéteur. 
            J'ai, dit-il, dans mon écurie 
            Un fort beau Roussin d'Arcadie : (4) 
            J'en voudrais faire un Orateur. 
Sire,  vous pouvez tout, reprit d'abord notre homme. 
            On lui donna certaine somme. 
            Il devait au bout de dix ans 
            Mettre son Âne sur les bancs ; 
Sinon  il consentait d'être en place publique 
Guindé  (5) la hart (6) au col, étranglé court et net, 
            Ayant au dos sa Rhétorique, 
            Et les oreilles d'un Baudet. 
Quelqu'un  des Courtisans lui dit qu'à la potence 
Il  voulait l'aller voir, et que, pour un pendu, 
Il  aurait bonne grâce et beaucoup de prestance : 
Surtout  qu'il se souvînt de faire à l'assistance 
Un  discours où son art fût au long étendu . (7) 
Un  discours pathétique, et dont le formulaire 
            Servît à certains Cicérons 
            Vulgairement nommés larrons. 
            L'autre (8) reprit : Avant  l'affaire, 
            Le Roi, l'Âne, ou moi, nous  mourrons.
            Il avait raison. C'est folie 
              De compter sur dix ans de vie. 
              Soyons bien buvants, bien mangeants , 
  Nous  devons à la mort de trois l'un (9) en dix ans.  | 
             
           
              
              
              
              
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              Source : Abstemius, fable 133 : Le maître de grammaire qui instuisait un âne (Nevelet p.592), qui se termine ainsi : : La fable montre aux gens en danger que gagner du temps est souvent utile (d'après G. Couton, fables, p. 460) 
                (1) Faux médecin qui harangue sur la place publique pour amasser du monde et vendre ensuite remèdes et drogues. 
                (2) la mort 
                (3) un orateur qui surpasse Cicéron 
                (4) le roussin est un cheval robuste et l'Arcadie ne nourrit que des ânes, d'où l'effet burlesque. 
                (5), (6) (7) cérémonial de l'exécution à la peine capitale ( la hart est la corde du pendu). Des écriteaux sur le condamné expliquent son crime...Le condamné fait un discours dans lequel il explique sa faute et demande pardon à Dieu... 
                La moralité est double : 
                - Se méfier des charlatans 
                  - tenir compte du temps : la vie est brève (surtout à cette époque) 
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