Dans une ménagerie (1)
De volatiles remplie
Vivaient le Cygne et l'Oison :
Celui-là destiné pour les regards du Maître,
Celui-ci pour son goût (2) ; l'un qui se piquait d'être
Commensal (3) du jardin, l'autre de la maison.
Des fossés du château faisant leurs galeries,
Tantôt on les eût vus côte à côte nager,
Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger,
Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le Cuisinier, ayant trop bu d'un coup (4),
Prit pour Oison le Cygne; et le tenant au cou,
Il allait l'égorger, puis le mettre en potage.
L'Oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage.
Le Cuisinier fut fort surpris,
Et vit bien qu'il s'était mépris.
Quoi ? je mettrais, dit-il, un tel Chanteur (5) en soupe !
Non, non, ne plaise aux Dieux que jamais ma main coupe
La gorge à qui s'en sert si bien. Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe
........... Le doux parler ne nuit de rien. |
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Le cygne et le cuisinier, a pour source
première Ésope, reprise déjà par Faërne et
Verdizotti à qui La Fontaine a emprunté le début.
Dans le jardin d'un altier palais vivaient, nourris ensemble une oie et un cygne, l'un pour réjouir de son doux chant les délicates oreilles de son maître, l'autre pour réjouir avec sa grasse chairsa bouche et son ventre. (cité par G. Couton,
Ed. Garnier)
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(1) lieu bâti auprès d'une maison de campagne pour y engraisser les bestiaux et les volailles. ( Dict. de l'Acad. 1694)
(2) pour le goût du maître
(3) compagnon de table ; l'oie mange dans le jardin,
le cygne est admis dans la maison
(4) ayant bu un coup de trop
(5) allusion à la légende du chant des cygnes sur le point
de mourir, d'où vient l'expression "le chant du cygne" pour désigner l'œuvre finale.
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Illustration : M.C. Bertrand
(carte postale)
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