LA FORET ET LE BUCHERON
Un Bûcheron
venait de rompre ou d'égarer
Le bois dont il avait emmanché sa cognée.
Cette perte ne put sitôt se réparer
Que la Forêt n'en fût quelque temps épargnée.
L'Homme
enfin la prie humblement
De
lui laisser tout doucement
Emporter
une unique branche,
Afin
de faire un autre manche.
Il irait employer ailleurs son gagne-pain ;
Il laisserait debout maint chêne et maint sapin
Dont chacun respectait la vieillesse et les charmes.
L'innocente Forêt lui fournit d'autres armes.
Elle en eut du regret. Il emmanche son fer.
Le
misérable
ne s'en sert
Qu'à dépouiller
sa bienfaitrice
De
ses principaux ornements.
Elle
gémit à tous
moments.
Son
propre don fait son supplice.
Voilà le train du Monde et de ses sectateurs : (1):
On s'y sert du bienfait contre les bienfaiteurs.
Je suis las d'en parler ; mais que de doux ombrages
Soient
exposés à ces
outrages,
Qui
ne se plaindrait là-dessus !
Hélas ! j'ai beau crier et me rendre incommode :
L'ingratitude
et les abus (2)
N'en
seront pas moins à la
mode.
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N'oublions pas que L.F. était maître des eaux et forêts à Château-Thierry. Il connaît la forêt, l'aime, et prend parti pour elle.
Le sujet de cette fable se trouve à 2 reprises dans l'anthologie de Névelet (1610) :
- Fable d'Esope dont la morale est : "La douleur est d'autant plus poignante qu'un être proche est l'auteur du mal dont on pâtit"
- Fable de l'italien Verdizzoti " La forêt et le Vilain" qui se termine par : "Ne donnez pas votre faveur à qui peut vous faire outrage"
(c'est plutôt cette seconde fable qu'a suivie L.F.)
(1) de ceux qui vivent la vie du monde et suivent
ses enseignements
(2) signifie aussi "tromperie" (dict. Acad. 1694) |