Javascript Menu by Deluxe-Menu.com fable Jean de La Fontaine : l'homme qui court après la fortune et l'homme qui l'attend dans son lit
portrait de Jean de La Fontaine le corbeau de la fable jardin de la maison natale actuellement le perron de l'entrée de la maison
Fable, Jean de La Fontaine, 
L'Homme qui court après la fortune et l'Homme qui l'attend dans son lit,  Livre VII, fable 12   

L'Homme qui court après la fortune
et l'Homme qui l'attend dans son lit

            Qui ne court après la Fortune ?
Je voudrais être en lieu d'où je pusse aisément
             Contempler la foule importune
             De ceux qui cherchent vainement
Cette fille du sort de Royaume en Royaume,
Fidèles courtisans d'un volage fantôme.
             Quand ils sont près du bon moment,
L'inconstante aussitôt à leurs désirs échappe :
Pauvres gens, je les plains, car on a pour les fous
             Plus de pitié que de courroux.
Cet homme, disent-ils, était planteur de choux,
 
           Et le voilà devenu Pape :
Ne le valons-nous pas ? Vous valez cent fois mieux ;
             Mais que vous sert votre mérite ?
             La Fortune a-t-elle des yeux ?
Et puis la papauté vaut-elle ce qu'on quitte,
Le repos, le repos, trésor si précieux
Qu'on en faisait jadis le partage des Dieux ?
Rarement la Fortune à ses hôtes le laisse.(1)
             Ne cherchez point cette Déesse,
Elle vous cherchera ; son sexe en use ainsi.(2)
Certain couple d'Amis en un bourg établi,
Possédait quelque bien : l'un soupirait sans cesse
         Pour la Fortune ; il dit à l'autre un jour :
             Si nous quittions notre séjour ? (3)
            Vous savez que nul n'est prophète
En son pays : cherchons notre aventure ailleurs.
Cherchez, dit l'autre Ami, pour moi je ne souhaite
             Ni climats ni destins meilleurs.
Contentez-vous ; suivez votre humeur inquiète ; (4)
Vous reviendrez bientôt. Je fais voeu cependant
             De dormir en vous attendant.
L'ambitieux, ou si l'on veut, l'avare,(5)
             S'en va par voie et par chemin.
             Il arriva le lendemain
En un lieu que devait la Déesse bizarre (6)
Fréquenter sur tout autre ; et ce lieu, c'est la cour.
Là donc pour quelque temps il fixe son séjour,
Se trouvant au coucher, au lever, à ces heures
             Que l'on sait être les meilleures ;
Bref, se trouvant à tout, et n'arrivant à rien.
Qu'est ceci ? ce dit-il, cherchons ailleurs du bien.
La Fortune pourtant habite ces demeures.
Je la vois tous les jours entrer chez celui-ci,
             Chez celui-là ; d'où vient qu'aussi
Je ne puis héberger cette capricieuse ?
On me l'avait bien dit, que des gens de ce lieu
L'on n'aime pas toujours l'humeur ambitieuse.
Adieu messieurs de cour ; messieurs de cour adieu :
Suivez jusques au bout une ombre qui vous flatte.
La Fortune a, dit-on, des temples à Surate ; (7)
Allons là. Ce fut un de dire et s'embarquer.
Ames de bronze, humains, celui-là fut sans doute (8)
Armé de diamant, qui tenta cette route,
Et le premier osa l'abîme défier.
             Celui-ci pendant son voyage
             Tourna les yeux vers son village
         Plus d'une fois, essuyant les dangers
Des pirates, des vents, du calme (9) et des rochers,
Ministres de la mort. Avec beaucoup de peines
On s'en va la chercher en des rives lointaines,
La trouvant assez tôt (10) sans quitter la maison.
L'homme arrive au Mogol ; on lui dit qu'au Japon
La Fortune pour lors distribuait ses grâces.
             Il y court ; les mers étaient lasses
             De le porter ; et tout le fruit
             Qu'il tira de ses longs voyages,
Ce fut cette leçon que donnent les sauvages :
Demeure en ton pays, par la nature instruit.
Le Japon ne fut pas plus heureux à cet homme
             Que le Mogol l'avait été ;
             Ce qui lui fit conclure en somme,
Qu'il avait à grand tort son village quitté.
             Il renonce aux courses ingrates,
Revient en son pays, voit de loin ses pénates,
Pleure de joie, et dit : Heureux, qui vit chez soi ;
De régler ses désirs faisant tout son emploi.
Il ne sait que par ouïr-dire (11)
Ce que c'est que la cour, la mer, et ton empire,
Fortune, qui nous fais passer devant les yeux
Des dignités, des biens, que jusqu'au bout du monde
On suit, sans que l'effet aux promesses réponde.
Désormais je ne bouge, et ferai cent fois mieux.
             En raisonnant de cette sorte,
Et contre la Fortune ayant pris ce conseil, (12)
             Il la trouve assise à la porte
De son ami plongé dans un profond sommeil.

 

 

 

Pas de source connue, M. Fumaroli précise que ce pourrait être le simple proverbe La fortune vient en dormant.

 

 

 

(1) à ceux chez lesquels elle se trouve
(2) agit ainsi
(3) l'endroit où nous vivons
(4) votre caractère instable

 

 

 

 

 

 

 

 


(5) ici : plein d'envie, de convoitise
(6) que la fantasque déesse devait fréquenter plus que tout autre

 

 

 

 

 


(7) Comptoir des Indes important pour le commerce, fondé par Colbert,
(8) il ne le dit pas deux fois...sans aucun doute

 

 

 

 


(9) le calme de la mer et l'absence de vent qui immobi lisent le bateau
(10) qu'on trouve pourtant
(11) ouï dire
(12) cette décision

 

 


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