LE
LIÈVRE ET LES GRENOUILLES
..........Un Lièvre en son gîte (1) songeait
(Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) ;
Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
Les gens de
naturel peureux
Sont,
disait-il, bien malheureux :
Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite.
Jamais un plaisir pur ; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis : cette crainte maudite
M’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts (2).
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Et la peur se
corrige-t-elle ?
Je crois même
qu’en bonne foi
Les hommes ont
peur comme moi.
Ainsi
raisonnait notre Lièvre,
Et cependant
(3) faisait le guet.
Il était
douteux (4), inquiet ;
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.
Le
mélancolique (5) Animal,
En rêvant à
cette matière,
Entend un léger bruit : ce lui fut un signal
Pour s’enfuir
devers (6) sa tanière.
Il s’en alla passer sur le bord d’un étang :
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes ;
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.
Oh ! dit-il, j’en
fais faire autant
Qu’on m’en
fait faire! ma présence
Effraie aussi les gens! je mets l’alarme au camp !
Et d’où me
vient cette vaillance ?
Comment ! des animaux qui tremblent devant moi !
Je suis donc un
foudre de guerre ?
Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre,
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. |
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Source : Les lièvres et les grenouilles, Ésope
Chez Ésope, les lièvres rassemblés, se plaignant de leur sort et
craignant tous les dangers avaient choisi de mourir plutôt que
d'avoir peur toute leur vie. Ils s'élancèrent vers l'étang pour s'y
noyer. Les grenouilles que la fuite des lièvres avaient effrayées,
se précipitèrent dans l'étang... Les lièvres, voyant qu'il y avait
plus craintifs qu'eux renoncèrent à leur projet. La morale ici est
que les malheureux sont consolés par les maux plus graves des autres
(1) endroit abrité où le lièvre se repose.
(2) en réalité, le lièvre ouvre l'œil au moindre bruit, donnant
l'impression qu'il dort les yeux ouverts.
(3) pendant ce temps
(4) pris ici au sens de craintif. Ce mot est formé de l'ancien
français doute : crainte.
(5) Dans le dictionnaire de Furetière de 1690, on lit : maladie qui
cause une rêverie sans fièvre, accompagnée d'une frayeur et
tristesse sans occasion apparente....
(6) vers
Image publicitaire pour les gaufrettes Rivoire
et Jeandet
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