Javascript Menu by Deluxe-Menu.com fable Jean de La Fontaine : le lion amoureux
portrait de Jean de La Fontaine le corbeau de la fable jardin de la maison natale actuellement le perron de l'entrée de la maison

fable de Jean de La Fontaine : 
Le Lion amoureux  Livre IV, 1

 
LE LION AMOUREUX (*)
                A Mademoiselle de Sévigné

Sévigné, de qui les attraits
Servent aux Grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près,
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d'une fable,
Et voir, sans vous épouvanter,
Un lion qu'Amour sut dompter ?
Amour est un étrange maître.
Heureux qui peut ne le connaître
Que par récit, lui ni (1) ses coups !
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,
La fable au moins se peut souffrir (2) :
Celle-ci prend bien l'assurance (3)
De venir à vos pieds s'offrir,
Par zèle et par reconnaissance.

Du temps que les bêtes parlaient,
Les lions, entre autres, voulaient
Etre admis dans notre alliance.
Pourquoi non? Puisque leur engeance (4)
Valait la nôtre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,
Et belle hure (5) outre cela.
Voici comment il en alla.
Un lion de haut parentage (6)
En passant par un certain pré,
Rencontra bergère à son gré :
Il la demande en mariage.
Le père aurait fort souhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui semblait bien dur;
La refuser n'était pas sûr;
Même un refus eût fait possible (7),
Qu'on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandestin ;
Car outre qu'en toute matière
La belle était pour les gens fiers,
Fille se coiffe volontiers
D'amoureux à longue crinière.
Le père donc, ouvertement
N'osant renvoyer notre amant (8),
Lui dit :" Ma fille est délicate;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu'à chaque patte
On vous les rogne, et pour les dents,
Qu'on vous les lime en même temps.
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus délicieux ;
Car ma fille y répondra mieux,
Etant sans ces inquiétudes."
Le lion consent à cela,
Tant son âme était aveuglée !
Sans dents ni griffes le voilà,
Comme place démantelée.
On lâcha sur lui quelques chiens :
Il fit fort peu de résistance.

Amour, amour, quand tu nous tiens,
On peut bien dire : " Adieu prudence!"

Voici donc une fable dédiée à la fille de Madame
de Sévigné, Françoise-Marguerite, qualifiée de "La plus jolie fille de France", par Bussy-Rabutin son cousin.
Depuis l'âge de 16 ans, et à plusieurs reprises, elle figure dans les ballets royaux, danse avec Louis XIV
...mais sa froideur est désarmante :
[...]
"L'ingrate foule aux pieds Hercule et sa massue ;
Quelle que soit l'offrande, elle n'est point reçue :
Elle verrait mourir le plus fidèle amant
Faute de l'assister d'un regard seulement.
Injuste procédé, sotte façon de faire,
Que la pucelle tient de madame sa mère"
[...]  (Benserade)
Pourtant, le roi n'avait pas été indifférent au charme de la belle et les courtisans la donnaient comme sa future maîtresse au moment où, en 1665, il commençait à se lasser de Mlle de La Vallière.
Au tout début de la publication des premières fables (1668), et du "lion amoureux" on pouvait encore faire des suppositions...
La Fontaine invite certainement Mlle de Sévigné à sortir de sa froideur, en lui montrant que le "Lion" peut se faire très doux...
"Placer l'adjectif "amoureux" entre Mlle de Sévigné et le nom du lion, personnage où chacun reconnaît clairement le roi, autorisait toutes les hypothèses"
(Roger Duchêne : "Madame de Sévigné ou la chance
d'être femme" p. 199 )

Le Lion amoureux

"...tant son âme était aveuglée."

Le lion amoureux par CHAM

(*) Source : Esope "Le lion  et le laboureur"
(recueil Nevelet, p.268)
(1) et
(2) supporter
(3) hardiesse
(4) race
(5) tête d'un sanglier, d'un ours, d'un loup
et autres bêtes mordantes (Furetière)
(6) origine, naissance
(7) peut-être
(8) prétendant

 

lire d'autres fables