Javascript Menu by Deluxe-Menu.com fable Jean de La Fontaine : Le loup et le renard (Mais d'où vient...)
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Fable, Jean de La Fontaine, 
Le Loup et le Renard,  Livre XI, fable 6
 

Le Loup et le Renard

Mais d'où vient qu'au Renard Ésope accorde un point ?
C'est d'exceller en tours pleins de matoiserie. (1)
J'en cherche la raison, et ne la trouve point.
Quand le Loup a besoin de défendre sa vie,
               Ou d'attaquer celle d'autrui,
               N'en sait-il pas autant que lui ?
Je crois qu'il en sait plus ; et j'oserais peut-être
Avec quelque raison contredire mon maître.
Voici pourtant un cas où tout l'honneur échut
A l'hôte des terriers. Un soir il aperçut
La Lune au fond d'un puits : l'orbiculaire (2) image
               Lui parut un ample fromage.
               Deux seaux alternativement
               Puisaient le liquide élément.
Notre Renard, pressé par une faim canine, (3)
S'accommode (4) en celui qu'au haut de la machine
               L'autre seau tenait suspendu.
               Voilà l'animal descendu,
              Tiré d'erreur, mais fort en peine,
               Et voyant sa perte prochaine.
Car comment remonter, si quelque autre affamé,
              De la même image charmé,
              Et succédant à sa misère,
Par le même chemin ne le tirait d'affaire ?
Deux jours s'étaient passés sans qu'aucun vînt au puits ;
Le temps qui toujours marche avait pendant deux nuits
               Echancré selon l'ordinaire
De l'astre au front d'argent la face circulaire.
          Sire Renard était désespéré.
          Compère Loup, le gosier altéré,
Passe par là ; l'autre dit : Camarade,
Je veux vous régaler ; voyez-vous cet objet ?
C'est un fromage exquis. Le Dieu Faune (5) l'a fait,
               La vache Io (6) donna le lait.
               Jupiter, s'il était malade,
Reprendrait l'appétit en tâtant d'un tel mets.
              J'en ai mangé cette échancrure,
Le reste vous sera suffisante pâture.
Descendez dans un seau que j'ai mis là exprès.
Bien qu'au moins mal qu'il pût il ajustât l'histoire,
               Le Loup fut un sot de le croire.
Il descend, et son poids, emportant l'autre part,
               Reguinde (7) en haut maître Renard.
Ne nous en moquons point : nous nous laissons séduire
               Sur aussi peu de fondement ;
               Et chacun croit fort aisément
...............Ce qu'il craint et ce qu'il désire.


Les sources possibles de cette fable seraient "Le roman de Renart" (mais rien ne prouve que La Fontaine l'ait connu) ou plus probablement celle de Jacques Régnier dans ses "Apologi Phaedrii (I,18) (un renard poursuivant une poule, tombe dans un puits, la poule entre les dents, puis attire le loup en lui vantant les ressources du puits.)

[...] Ici, c'est d'abord le renard "qui est tombé dans le panneau du reflet de lune pris pour un fromage, et qui découvre que"l'orbiculaire image" peut être entamée par le temps qui passe , non par ses dents ! S'il parvient à éviter le pire, et à faire tomber le loup dans le panneau, les deux fauves n'en sont pas moins, en quelque sorte, à égalité [...] même les fauves si rusés soient-ils au service de leurs passions voraces, peuvent aussi bien que leurs victimes être les dupes de la crainte et de l'espérance" (M. Fumaroli, La Fontaine, Fables, éd. La Pochothèque, p. 970.)

 

(1) finesse du matois, fourberie (Furetière)
(2) de figure ronde et sphérique. La rondeur orbicukaire du soleil, des astres.
(3) fort grande faim
(4) s'installe tant bien que mal
(5) Dieu des bois et des troupeaux
(6) prêtresse de la mythologie grecque. Zeus l'aima et la transforma en génisse pour la soustraire à la jalousie de sa femme Héra.
(7) remonte

 

illustration Grandville
Illustration : J.J. Grandville

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