Deux fables sont présentées ici, la
première tirée d'Ésope incite à se contenter de ce qu'on a, la seconde, tirée de
Phèdre, incite davantage à se contenter de ce qu'on est ; toutes deux invitent à
réfréner ses désirs.
LE CORBEAU
VOULANT IMITER L'AIGLE (*) |
L'Oiseau de Jupiter (1) enlevant un Mouton,
Un Corbeau témoin de
l'affaire,
Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l'heure
autant faire.
Il tourne à l'entour
du troupeau,
Marque entre cent Moutons le plus gras, le plus beau,
Un vrai Mouton de
sacrifice :
On l'avait réservé pour la bouche des Dieux.
Gaillard Corbeau disait, en le couvant des yeux :
Je ne sais qui fut ta
nourrice ;
Mais ton corps me paraît en merveilleux état :
Tu me serviras de
pâture.
Sur l'animal bêlant, à ces mots, il s'abat.
La moutonnière
créature
Pesait plus qu'un fromage (2) ; outre que sa toison
Etait d'une épaisseur
extrême,
Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de
Polyphème (3).
Elle empêtra si bien les serres du Corbeau,
Que le pauvre Animal ne put faire retraite.
Le Berger vient, le prend, l'encage bien et beau (4)
Le donne à ses enfants pour servir d'amusette.
Il faut se mesurer ; la conséquence est nette :
Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.
L'exemple est un
dangereux leurre.
Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands Seigneurs :
Où la Guêpe a passé, le Moucheron demeure. (5)
(*) source : Ésope : l'aigle, le choucas et le berger
C'est à Corrozet que L.F. a emprunté le détail
de l'enfant ayant reçu le corbeau comme jouet
(1) le maître des Dieux (l'Aigle et l'Escarbot : II,8 v.14)
(2) Des correspondances entre les Fables
commenceent à s'établir ; ici, renvoi à la fable
II,1 : Le corbeau et le renard
(3) le cyclope Polyphème, fils de Poséïdon, est
représenté par les poètes antiques, à la barbe hirsute
(4) bel et bien
(5) Rabelais Livre v, chap.12 : "Nos lois sont comme
toiles d'araignée, or ça, les simples moucherons
et petits papillons y sont pris, or ça, les gros taons
malfaisants les rompent, or ça, et passent à travers, or ça,"
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Après l'oiseau de Jupiter : l'Aigle, dans
la fable précédente, voici : le Paon, oiseau de Junon, la femme de Jupiter..
LE PAON SE PLAIGNANT
A JUNON (*) |
Le Paon se plaignait à
Junon.
Déesse, disait-il, ce n'est pas sans raison
Que je me plains, que
je murmure (1) ;
Le chant dont vous
m'avez fait don
Déplaît à toute la
Nature :
Au lieu qu'un Rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu'éclatants,
Est lui seul l'honneur
du printemps.
Junon répondit en
colère :
Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du Rossignol ?
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué (2) de cent sortes de soies ;
Qui te panades (3), qui
déploies
Une si riche queue, et qui semble à nos yeux
La boutique d'un
Lapidaire (4) ?
Est-il quelque Oiseau
sous les cieux
Plus que toi capable de
plaire ?
Tout animal n'a pas toutes propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la grandeur et la force en partage ;
Le Faucon est léger, l'Aigle plein de courage,
Le Corbeau sert pour le
présage,
La Corneille avertit des malheurs à venir :
Tous sont contents de
leur ramage (5) .
Cesse donc de te plaindre, ou bien pour te punir
Je t'ôterai ton
plumage.(6)
(*) Source : Phèdre, livre III, 18
(1) dans "la Besace" I,7, les animaux étaient tous
contents de leur sort...
(2) nuer : nuancer, disposer les couleurs selon les nuances (terme de tissage de laine ou soie)
(3) se panader : faire parade, se pavaner, marcher avec une gravité fière
(4) marchand de pierres précieuses
"riche queue" et "qui semble" vont... ensemble.
(5) chant
(6) Oh ! je vous laisse imaginer ce qui resterait !
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aquarelle de Gustave Moreau (cliquer sur l'image pour
l'agrandir) |
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