Le Soleil et les Grenouilles
Les Filles du limon (1) tiraient du Roi des astres
Assistance et protection (2).
Guerre ni pauvreté, ni semblables désastres
Ne pouvaient approcher de cette Nation.
Elle faisait valoir en cent lieux son empire.
Les reines des étangs, Grenouilles veux-je dire,
Car que coûte-t-il d'appeler
Les choses par noms honorables ?
Contre leur bienfaicteur osèrent cabaler (3),
Et devinrent insupportables.
L'imprudence, l'orgueil, et l'oubli des bienfaits,
Enfants de la bonne fortune,
Firent bientôt crier cette troupe importune ;
On ne pouvait dormir en paix :
Si l'on eût cru leur murmure,
Elles auraient par leurs cris
Soulevé grands et petits
Contre l'œil de la Nature (4).
Le Soleil, à leur dire, allait tout consumer ;
Il fallait promptement s'armer,
Et lever des troupes puissantes.
Aussitôt qu'il faisait un pas,
Ambassades croassantes (5)
Allaient dans tous les Etats.
A les ouïr, tout le monde,
Toute la machine ronde (6)
Roulait sur les intérêts
De quatre méchants (7) marais.
Cette plainte téméraire
Dure toujours ; et pourtant
Grenouilles devraient se taire,
Et ne murmurer pas tant :
Car si le Soleil se pique (8),
Il le leur fera sentir.
La République aquatique
Pourrait bien s'en repentir. |
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Cette fable, ainsi que La Ligue des Rats, n'ont pas été reprises par La Fontaine dans ses recueils, mais publiées de son vivant. La fable de titre identique est la douzième du livre VI.
Elle est l' imitation d'une allégorie latine du Père Commire, qui collaborait à la campagne d'opinion contre les Provinces-Unies, publiée en 1672, de titre identique; La Fontaine ne l'a publiée sous son nom qu'en 1693, après l'avoir publiée auparavant, en feuille volante (1672), seulement revêtue de ses initiales D.L.F. |
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Illustration : Grandville
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(1) Les grenouilles, filles du limon : les Hollandais
(2) Le roi des astres : le soleil : Louis XIV
(3) faire des pratiques secrètes
(4) le soleil
(5) pour coassantes : c'est le corbeau qui "croasse"
(6) la terre
(7) insignifiants, méprisables
(8) se fâche
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