Un Fou et un Sage (1)
Certain Fou poursuivait à coups
de pierre un Sage.
Le Sage se retourne, et lui dit : Mon ami,
C'est fort bien fait à toi, reçois cet écu-ci :
Tu fatigues assez pour gagner davantage.
Toute peine, dit-on, est digne de loyer.
Vois cet homme qui passe, il a de quoi payer :
Adresse-lui tes dons, ils auront leur salaire.
Amorcé par le gain, notre Fou s'en va faire
Même insulte à l'autre Bourgeois.
On ne le paya pas en argent cette fois.
Maint Estafier (2) accourt : on vous happe notre homme,
On vous l'échine, (3) on vous l'assomme.
Auprès des Rois il est de pareils Fous :
A vos dépens ils font rire le Maître.
Pour réprimer leur babil, irez-vous
Les maltraiter ? Vous n'êtes pas peut-être
Assez puissant. Il faut les engager
A s'adresser à qui peut se venger.
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La source de cette fable est Phèdre (III,5),
Une note manuscrite, trouvée par Walckenaer,
précise que cette fable aurait été faite contre le sieur abbé Du Plessis, une espèce de fou sérieux, qui
s'était mis sur le pied de censurer à la cour les ecclésiastiques
et même les évêques, et
que M. l'archevêque de Reims fit bien châtier.
"Ce fou n'est plus un innocent mais un méchant. Et ce méchant n'est pas comme
chez Phèdre, un simple passant : on le rencontre auprès des rois, c'est un de
ces concentrés d'ambition, de haine et de brutalité qu'attire à lui le pouvoir
politique." (Fables, M. Fumaroli, éd. La pochothèque, p.999)
(1) au XVIIe, sage signifie généralement "modéré,
maître de ses passions"
(2)
valet de pied qui suit un homme à cheval, qui lui tient l'étrier
(Furetière)
(3) on lui rompt l'échine, on l'assome
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