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portrait de Jean de La Fontaine le corbeau de la fable jardin de la maison natale actuellement le perron de l'entrée de la maison
Journal de l'association pour le musée Jean de La Fontaine (suite)
S'informer au temps de La Fontaine :
Lire dans les milieux populaires au temps de La Fontaine (N°20) Acquisition : Le Nevelet
les fables, avant La Fontaine
(N°19)
La Galerie du Palais (N°20) Retour au sommaire des articles

“ Lire ” dans les milieux populaires au temps de La Fontaine …
Lire n’est pas inné et de nos jours encore, l’apprentissage, certes parfois joyeux, peut cependant rester difficile… sans être aussi douloureux qu’au XVIIe siècle, comme l’atteste la gravure d’Abraham Bosse (Tours, 1604 ( ? ) - Paris, 1676)  Le Maître d’école, datée de 1638, sous laquelle on lit : Cet habile Maistre d’Escole/Accoustumé parmi le bruit/Que font les Enfans qu’il instruit/Joint les verges à la parolle.


Apprendre à lire se faisait par l’intermédiaire de panneaux de bois ou de carton : les “ cartes ” ou “ tables ”, qui représentaient les lettres de l’alphabet, les syllabes et les nombres. Ensuite on passait à l’écriture. Jusqu’à la fin du XVIIe où le français devint la langue d’apprentissage, il était pratiquement impossible d’apprendre à lire autrement qu’en latin.
Sous le règne de Louis XIV, une école pour tous, peu onéreuse, souvent même gratuite, se généralisa et se démocratisa, surtout après l’ordonnance du 13 décembre 1698 par laquelle le roi obligea les parents à envoyer leurs enfants dans les écoles paroissiales. Communautés d’habitants, congrégations religieuses et legs pieux, apportaient un soutien financier.
Le curé, ou le régent placé sous son autorité, était le maître. Le régent était embauché par la communauté paroissiale avec l’accord de l’évêque qui ne délivrait les “ lettres de régence ” qu’après une enquête de moralité et un contrôle des connaissances religieuses. Les familles payaient au régent un droit d’écolage et les enfants ne recevaient que les connaissances élémentaires : catéchisme, lecture, écriture, bases du calcul. Quant au “ Pédant ”, évoqué dans les fables, c’était un homme de collège qui avait soin d’instruire et de gouverner la jeunesse, d’enseigner les humanités et les arts.

Abraham Bosse, Le Maître d'école, v. 1638

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Que lisait-on ?

Dans les campagnes, lettrés ou non appréciaient les almanachs. Richement illustrés de gravures sur bois, réunissant un ensemble d’articles aux sujets hétéroclites, de style populaire, ils étaient vendus très bon marché par les colporteurs. Ils donnaient lieu à des séances de lecture collective qui profitaient à tous.
Les livres de la Bibliothèque bleue, qui doit son nom à la couverture des ouvrages, en papier de récupération d’imprimerie maculé de bleu, étaient les plus répandus. De petit format, bon marché parce qu’imprimés avec des caractères usés, illustrés de gravures sur bois de mauvaise qualité, édités principalement par la famille Oudot, libraires à Troyes, ils étaient diffusés par les colporteurs. On y lisait la vie de saints auréolée par leurs miracles, des contes, des récits autour des figures légendaires de l'Histoire, de l'astrologie, des recettes pratiques, de la médecine ou de la sorcellerie, et des ouvrages religieux…
Dans les villes, les chanteurs de rue véhiculaient des pamphlets politiques et vendaient des images et textes pieux ou fantaisistes. Imagesvolantes, placards et canards souvent illustrés d’une grossière gravure sur bois, étaient très répandus auprès d’un public en quête de nouvelles, vraies ou fausses, extraordinaires ou spectaculaires, de faits divers… et de merveilleux.
A Paris, les colporteurs du Pont-Neuf offraient “ sous le manteau ” et pour presque rien, des drôleries salées ou des libelles politiques anti-gouvernementaux. Le succès de la “ littérature du Pont-Neuf ” était incontestable. On s’arrachait les “ mazarinades ”, petites feuilles de quatre à douze pages, dressées contre Mazarin en raison de ses origines italiennes, de ses relations intimes avec la reine Régente, et de ses richesses puisées sur les deniers publics… Cette littérature de rue déclina vite lors du règne personnel de Louis XIV : la police de la presse renforcée par Colbert alors premier ministre en fut la cause.
Le métier devenant dangereux, la littérature d’opposition se réfugia dans les gazettes et recueils de Hollande… pour revenir clandestinement en France !

Envie de lire, quand tu nous tiens…

Thérèse Pichard

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La gravure d’Abraham Bosse, La Galerie du Palais (1), datée de 1638, vient d'être acquise par l’association.
Sur cette gravure, on voit 3 boutiques devant lesquelles discute ou se promène une élégante clientèle. La première boutique : la librairie, abondamment fournie, est intéressante car elle est représentative de l’époque et expose des ouvrages inhérents à la culture littéraire de La Fontaine : On y lit entre autres le nom des auteurs : Sénèque, Plutarque, Rabelais,Honoré d’Urfé… Elle aura donc bien sa place au musée.
(1) La Galerie du Palais de justice était au XVIIe siècle une sorte de grand magasin à la mode.

La Galerie du Palais

Abraham Bosse, La Galerie du Palais, v. 1638
Acquisitions

Dans le cadre de la réhabilitation du cabinet de travail du poète, une acquisition de grand intérêt a encore été faite par l'association : il s'agit de la Mythologia Aesopica, d'Isaac Nicolas Nevelet, volume in 8, de 678 pages, avec une reliure d'époque, illustrée de 237 gravures sur bois par Virgil Solis. Elle vient compléter avec bonheur la collection du musée. L'édition date de 1660 à Francfort, chez Christian Gerlach et Simon Beckenstein imprimeurs.
La première édition de ce recueil avait eu lieu en 1610, à Francfort également. Son descriptif en latin nous a été très aimablement traduit par Jean-Claude Belin :

“Mythologie ésopique, contenant 297 fables gréco-latines dont 136 paraissent d'abord. S'y ajoutent des fables de Babrius encore enrichies. 60 fables d'un ancien anonyme traduites en vers latins tirées d'éditions tombées en désuétude et rendues à la lumière par un ouvrage manuscrit. Tous ces ouvrages viennent de la Bibliothèque Palatine. S'y ajoutent des fables de Phèdre, d'Avienus, d'Abstemius ; grâce au travail et à l'étude d'Isaac Nicolas Nevelet avec des notes du même dans la même édition… ”

Certes, La Fontaine connaissait cet ouvrage qui a été la source principale de Pierre Millot, le premier traducteur français des fables latines de Phèdre et d'Aphtonius, suivi un an après de Louis-Isaac Le Maistre de Sacy (1647).

Peut-être le poète a-t-il composé ses fables en ayant la Mythologia Aesopica sous les yeux ? Ce n'est pas invraisemblable !

Les fables … La Fontaine

Le sujet a déjà été longuement traité par les spécialistes. Ces quelques lignes ne feront que l'aborder. Justice sera ainsi rendue au fabuliste qualifié souvent de " copieur ". Pourtant, il justifie sa démarche dans la préface du premier livre des fables en disant :

[" Après tout, je n'ai entrepris la chose que sur l'exemple […] A peine les fables qu'on attribue à Esope virent le jour, que Socrate trouva à propos de les habiller des livrées des Muses […] Socrate n'est pas le seul qui ait considéré comme sœurs la poésie et nos fables. Phèdre a témoigné qu'il était de ce sentiment […] Après Phèdre, Avienus a traité le même sujet. Enfin les Moderne les ont suivis […] J'ai pourtant considéré que, ces fables étant sues de tout le monde, je ne ferais rien si je ne les rendais nouvelles par quelques traits qui en relevassent le goût […] On veut de la nouveauté et de la gaieté. Je n'appelle pas gaieté ce qui excite le rire ; mais un certain charme, un air agréable, qu'on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux. […] Ces badineries ne sont telles qu'en apparence ; car dans le fond elles portent un sens très solide […] Elles ne sont pas seulement morales, elles donnent encore d'autres connaissances. Les propriétés des animaux et leurs divers caractères y sont exprimés ; par conséquent les nôtres aussi, puisque nous sommes l'abrégé de ce qu'il y a de bon et de mauvais dans les créatures irraisonnables […] [Ainsi ces fables sont un tableau où chacun de nous se trouve dépeint. ]

Nevelet
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Le choix du domaine littéraire dans lequel La Fontaine va exceller s'explique par sa forte culture humaniste et latine, sa fréquentation d'amis érudits et sa connaissance des publications suivantes :

- 1495 : recueil de cent fables de source ésopique, ornées et tournées en vers latins (traduites en français en 1572) avec des fables d'Esope traduites en latin et publiées à Venise par Abstémius, bibliothécaire du duc d'Urbin.

- 1505 : recueil où l'on trouve le texte grec et la traduction latine des fables d'Esope, ainsi que celles de Babrias, publié à Venise sur les presses d'Alde Manuce.

- 1529 : équivalent français de cette édition à Paris chez Robert Estienne.

- 1596 : première édition du fabuliste antique Phèdre à Troyes par l'érudit Pierre Pithou qui en possédait un manuscrit
- 1617 : seconde édition de Phèdre, issue d'un autre manuscrit découvert à Reims par le jésuite érudit Jacques Sirmond
- Au XVIIe siècle encore, après cette découverte des Fabulae esopicae de Phèdre, paraît à Francfort en 1610 la Mythologia Aesopica d'Isaac-Nicolas Nevelet (fils de Pierre Nevelet) né à Troyes et … neveu de Pierre Pithou) qui sera rééditée en 1660.

Les fables grecques étaient partout présentes, se lisaient dans tous les milieux, se contaient et avaient une place importante dans l'enseignement.

Les fables de La Fontaine sont l'héritage de ce passé littéraire. L'originalité et le génie du poète sont résumés par cette citation de Marc Fumaroli :
" C'est par la diversité des tons, des modes, des humeurs, des styles, des genres, que l'unité du tout se laisse pressentir, mais ne s'impose jamais. C'est par là aussi qu'elles se sont assurées d'être toujours à l'heure ". (Marc Fumaroli, La Fontaine : Fables)

N.B. L'année 2008 fête le 340e anniversaire de la publication du premier livre des fables !
Thérèse Pichard