LE NOTAIRE
"A déclaré... " La chose est faite.
Le Notaire présentant l'obligation étiquetée au
Marchand,
Tenez.
LE MARCHAND,
donnant
une pièce de quinze sous au notaire.
Tenez.
LE NOTAIRE
Il ne faut rien.
LE MARCHAND
Cela n'est pas juste, beau sire.
LE SAVETIER
Monsieur, je le paierai fort bien
En retirant...
LE NOTAIRE
C’est assez dire.
CINQUIEME
ENTREE
Un
Meunier entre avec un âne. M. Cuvron représente le meunier et Le
Formier fait lâne.
LE MEUNIER
Celui-là ment bien par ses dents,
Qui nous fait larrons comme diables :
Diables sont noirs, meuniers sont blancs.
Mais tous les deux sont misérables.
Le meunier
semble un Jodelet
Fariné d’étrange manière;
Le diable garde le mulet,
Tandis qu'on baise la meunière.
Ai-je un
mulet, il est quinteux ;
Et je ne suis pas mieux en mule ;
Si j'ai quelque âne, il est boiteux,
Au lieu d'avancer il recule.
Celui-ci
marche a pas comptés;
On le prendrait pour un chanoine.
Allons donc, mon âne.
L'ANE
Attendez.
Je n'ai pas mangé mon avoine.
LE MEUNIER
Vous mangerez tout votre soûl.
L'ANE,
sentant
une ânesse.
Hin-han, hin-han.
LE MEUNIER
Que veut-il dire?
Hé quoi! mon âne, êtes-vous fou?
Vous brayez quand vous voulez rire!
Le Marchand fait
délivrer du blé au Meunier: Celui-ci le paye, et tous deux sortent
avec l’âne porteur des sacs de blé.
une femme entre
SIXIEME
ENTREE
M. de Bressay,
représentant
LA FEMME
Que mon mari fait l'assoté !
Il ne m'appelle que son âme;
Si j'étais homme, en vérité,
Je n'aimerais pas tant ma femme.
Sur la fin
du couplet de la Femme,le Marchand de blé entre, et dit à part en
regardant la boutique du Savetier.
LE MARCHAND
Ce logis m’est hypothéqué;
L'homme me doit, la femme est belle,
Nous ferions bien quelque marché,
Non lui et moi, mais moi et elle.
Il s'adresse
à la Femme.
Vous me devez, mais, entre nous,
Si vous vouliez... bien à votre aise...
LA FEMME
Monsieur, pour qui me prenez-vous ?
Voyez un peu frère Nicaise !
LE MARCHAND
Accordez-moi quelque faveur.
LA FEMME
Pourquoi cela?
LE MARCHAND
Pourquoi? Et pour ce
Que je suis votre serviteur...
Et que j'ai de l'argent en bourse.
LA FEMME
Je n'ai souci de votre argent.
LE MARCHAND
Pour faire court, en trois paroles,
La courtoisie ou le sergent,
Ou bien payez-moi six pistoles !
LA FEMME
Je suis pauvre, mais j'ai du cœur:
Plutôt que mes meubles l'on crie,
Comme j'ai soin de notre honneur,
Je ferai tout.
LE MARCHAND
Ma douce amie
On doit apporter du vin frais,
Quelque régale il nous faut faire.
SEPTIEME
ENTREE
M. Huet
entre, représentant
LE PATISSIER
Monsieur un tel se met en frais...
Il aperçoit
le Marchand qui caresse la Femme du Savetier et dit à part:
Oh! oh! voici bien autre affaire;
Mais ne faisons semblant de rien...
Bonjour, Monsieur; bonjour, Madame.
LE MARCHAND
Tous tes dauphins ne valent rien.
LE PATISSIER
En voici de bons, sur mon âme.
LE MARCHAND
Mets sur ton livre, pâtissier.
Je n'ai pas un sol de monnoie.
Le pâtissier sort, et le Marchand buvant à la
santé de la Femme, dit .
A vous!
LA FEMME
A vous!... Mais le papier?
LE MARCHAND,
montrant
le papier qui contient l'obligation que le Savetier a souscrite à son
profit.
Le voilà.
LA FEMME
Donnez, que je voie ;
Donnez, donnez, mon cher Monsieur!
LE MARCHAND
Quelque sot! Ardez c'est mon voire.
LA FEMME
Je suis vraiment femme d'honneur ;
Quand j'ai juré, l'on me peut croire :
Déchirez.
LE MARCHAND,
déchirant un petit coin de l'obligation.
Crac...
LA FEMME
.
Déchirez donc :
Vous n'en déchirez que partie.
LE
MARCHAND
Il est déchiré tout du long.
LA FEMME,
toussant.
Hem !
LE MARCHAND
Qu'avez-vous, ma douce amie?
LA FEMME,
toussant
encore un coup.
C'est le rhume. Hem !
LE MARCHAND
Foin de la toux!
Assurément, ce sont défaites.
HUITIEME
ENTREE
LE SAVETIER,
accourant
en diligence au signal, et disant d'un air railleur et courroucé.
Ah! Monsieur, quoi ! vous voir chez nous ?
C'est trop d'honneur que vous nous faites.
LE MARCHAND,
se
levant.
Argent ! argent !
LE SAVETIER,
d'un
air menaçant et cherchant à prendre l'obligation que le Marchand
tient à la main.
Papier ! papier !
LE MARCHAND, effrayé.
Si je m'oblige à vous le rendre...
LE SAVETIER,
s’avançant
furieux sur le Marchand.
Ce n'est mon fait : point de quartier!
Je ne me laisse point surprendre.
Le
Marchand remet le papier au Savetier, et sort de sa boutique et du théâtre.
Le Savetier et sa femme éclatent de rire. L'on danse.
Notes :
Un de La Haye était prévôt du duc de Bouillon à Château-Thierry ; un Le Tellier était notaire à
Château-Thierry.
Le sujet du Conte d'une chose arrivée à Château-Thierry reprend
le thème de fond de cette pièce
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