Javascript Menu by Deluxe-Menu.com société historique de Château-Thierry
portrait de Jean de La Fontaine le corbeau de la fable jardin de la maison natale actuellement le perron de l'entrée de la maison

SOCIETE   HISTORIQUE DE CHATEAU-THIERRY

Fondée en 1864

Présentation

Communications

Le juge Magnaud

Les castels disparus

Fêtes Jean de La Fontaine Publications
Le juge Magnaud

Paul Magnaud : "Le bon juge"

LE JUGE MAGNAUD

Le colloque Magnaud qui s'est tenu à l'Hôtel de Ville de Château-Thierry samedi 17 octobre 1998  "prolongements"...

Louise Ménard est née à Paris (2 arr.) le 28 février 1875, fille de Pierre Ménard, employé de commerce, et d’Aline Lefranc, blanchisseuse. A vingt ans, elle se fixe avec sa mère à Charly où, en 1896, elle met au monde un fils de père inconnu. Après son acquittement par le Tribunal de Château-Thierry, elle entre comme employée de bureau au journal de la féministe Marguerite Durand La Fronde. Lorsqu’elle épouse le 12 septembre 1914 àClichy un employé de chemin de fer, Jean-Marie Houyer, l’acte de mariage indique qu’elle est "parfumeuse". Louise Ménard meurt à Clichy le 1er juin 1963, retombée depuis longtemps dans l’anonymat d’où elle était sortie un jour de mars 1898..

L’affaire Louise Ménard:
(illustrée par une série de cartes postales de l'époque)

Le juge :
Levez-vous, accusée et dites-moi votre âge?
- Je compte cinq printemps,Monsieur, pas davantage.
Le juge :
-Et vous avez volé?
-Je l'avoue humblement, mais grand'mère avait faim...nous n'avions pas d'argent.
Le juge :
- C'est malheureux quand on est si peu riche, d'en être réduit à dérober une miche !
Le juge :
-Pauvre petite !
En vous je plains le sort affreux
Incitant au larcin nombre de ventres creux²
Le juge :
-Mais l'esprit de la loi appelle l'indulgence
Et le pardon du vol causé par l'indigence.
Le procès d’une voleuse de pain
Tribunal de Château-Thierry Audience du vendredi 4 mars 1898 -
Présidence de M. Magnaud

Le Tribunal, Attendu que la fille Ménard, prévenue de vol, reconnaît avoir pris un pain dans la boutique du boulanger Pierre, qu’elle exprime sincèrement ses regrets de s’être laissé aller à commettre cet acte; Attendu que la prévenue a à sa charge un enfant de deux ans pour lequel personne ne lui vient en aide, et que, depuis un certain temps, elle est sans travail malgré ses recherches pour s’en procurer; qu’elle est bien notée dans la commune et passe pour laborieuse et bonne mère ; qu’en ce moment, elle n’a pour toute ressource que le pain de deux kilos et les deux livres de viande que lui délivre chaque semaine le bureau de bienfaisance de Charly, pour elle, sa mère et son enfant;

Attendu qu’au moment où la prévenue a pris un pain chez le boulanger Pierre, elle n’avait pas d’argent et que les denrées qu’elle avait reçues étaient épuisées depuis trente-six heures ; que ni elle, ni sa mère n’avaient mangé pendant ce laps de temps, laissant pour l’enfant les quelques gouttes de lait qui étaient dans la maison ; qu’il est regrettable que dans une société bien organisée, un des membres de cette "société", surtout une mère de famille, puisse manquer de pain autrement que par sa faute; que lorsqu’une pareille situation se présente et qu’elle est, comme pour Louise Ménard, très nettement établie, le juge peut, et doit, interpréter humainement les inflexibles prescriptions de la loi;

Attendu que la faim est susceptible d’enlever à tout être humain une partie de son libre arbitre et d’amoindrir en lui, dans une grande mesure, la notion du bien et du mal ; Qu’un acte ordinairement répréhensible perd beaucoup de son caractère frauduleux, lorsque celui qui le commet n’agit que poussé par l’impérieux besoin de se procurer un aliment de première nécessité, sans lequel la nature se refuse à mettre en oeuvre notre constitution physique;

Que l’intention frauduleuse est encore bien plus atténuée lorsqu’aux tortures aiguës résultant d’une longue privation de nourriture, vient se joindre comme dans l’espèce, le désir si naturel chez une mère de les éviter au jeune enfant dont elle a la charge;

Qu’il en résulte que tous les caractères de la préhension frauduleuse librement et volontairement perpétrée ne se retrouvent pas dans le fait accompli par Louise Ménard qui s’offre à désintéresser le boulanger Pierre sur le premier travail qu’elle pourra se procurer;

Que si certains états pathologiques, notamment l’état de grossesse, ont souvent permis de relaxer comme irresponsables les auteurs de vols accomplis sans nécessité, cette irresponsabilité doit, à plus forte raison, être admise en faveur de ceux qui n’ont agi sous l’irrésistible impulsion de la faim;

Qu’il y a lieu en conséquence, de renvoyer la prévenue des fins de poursuites, sans dépens et ce, par application de l’article 64 du Code Pénal

.Par ces motifs, le tribunal renvoie Louise Ménard des fins de poursuites, sans dépens.
(original du jugement aux Archives de l’Aisne, fonds du Tribunal de première instance de Château-Thierry 25 U 61)
Depuis l’affaire Ménard, le droit, en la matière, a évolué au cas par cas à travers la jurisprudence. Depuis le 1er mars 1994, la notion d’ "état de nécessité" chère au Président Magnaud, est désormais inscrite dans les textes et a permis, par exemple, au juge Laurence Noël, présidente du Tribunal de Poitiers, de relaxer en février 1997 une jeune femme sans ressources jugée pour un vol de viande dans un supermarché de Niort. Le parquet ayant fait appel, le jugement a été annulé le 11 avril 1997...
Sur le rôle et la place du juge dans la société, deux conceptions n’ont cessé de s’opposer depuis un siècle. Pour certains, le magistrat doit appliquer la loi et non l’interpréter ou la contester. Il doit défendre la société et non la censurer, suivre le législateur et non le précéder. Vu sous cet angle, polémiquer contre la société c’est introduire la politique dans le prétoire, c’est être un révolutionnaire. Pour d’autres, l’indépendance du juge lui confère le droit d’adapter la loi à la vie, à la complexité des relations humaines et de prendre en compte dans ses jugements les transformations de la société. Le débat introduit par le Président Magnaud n’a rien perdu de son actualité.
Tony LEGENDRE

(extrait de la revue "Graines d'histoire", la mémoire de l'Aisne, automne 1999, N°7)

Fédération des Sociétés d'histoire de l'Aisne
haut de page
Arrow2.gif (1291 octets)